Bagdad Titre original : Al-Hafîda al-amirikiyya
Inaam Kachachi Traduction de l’Arabe (Irak) par Ola Mehanna et Khaled Osman, et avec l’aide du Centre national du livre Editions Liana Levi (2008)
Voilà encore un pays que la littérature me permet de découvrir en partie, à une époque où le voyage touristique est quelque peu compromis ! Les voyages littéraires, c’est quand même bien pratique, quand on y pense ! En lisant les premières lignes de ce roman, je me suis dit « Ça va être plein de pathos, je sens je sens que ça ne va pas me plaire ». Au-delà du fait qu’un sujet tel qu’une expatriée de retour au pays dans le contexte de guerre qu’on lui connait aurait tout à fait légitimement pris un tour larmoyant, j’ai été tout à fait surprise de me rendre compte que c’était loin d’être le cas ! Inaam Kachachi, émigrée en France, raconte l’histoire de Zeina, émigrée aux Etats-Unis. Elle y est installée avec sa famille depuis qu’elle a l’âge de dix ans. Qu’est-ce qui la pousse à retourner ainsi dans le pays de ses racines ? La crise, la guerre, et sa grand’mère, qu’elle rêve de revoir enfin. Elle s’engage dans l’armée, comme traductrice. Mais son arrivée en Irak est une immense désillusion. Le pays en guerre, elle s’y attendait, même si ça fait un choc. Se voir repoussée et reniée par sa grand’mère est en revanche beaucoup plus difficile à accepter. Dans l’habit du nouvel occupant, qui a bouté le dictateur mais n’en conserve pas moins des méthodes brutales, elle est perçue comme une traitresse, une « collabo ». S’en suit non pas une fuite -Zeina est d’une force de caractère assez peu commune, mais une totale remise en question, un bombardement de son identité, arrachée entre deux pays ennemis, celui qui l’a vue naître et celui qui l’a accueillie (et dont elle rencontre également un des aspects les plus sombres). Une identité foulée aux pieds, confrontée à la réalité des conséquences des longues séparations : celles qui brisent des liens, car elles brisent les schémas et les points de vue communs. Le terrain des retrouvailles devient bien trop difficile à parcourir. Un fossé se creuse, le point de jonction s’érode avec le temps qui passe et l’Homme tient en équilibre jusqu’à ce qu’il choisisse son camp. Choisir, c’est renoncer. Un sujet brûlant, donc, mais qui laisse voir aussi tant d’autres choses en filigrane ! J’ai été étudiante en archéologie quelques années. Très peu, juste le temps d’entrer en contact avec la resplendissante culture mésopotamienne qui a vécu un âge d’or il y a dix-mille ans de cela. J’aime le Moyen-Age, et si je connais très peu la période, je sais quelles grandes nations les Arabes ont montées, pleines d’une culture et d’une science que nos pauvres chevaliers en armure étaient loin d’effleurer. Sciences, poésie, philosophie : les peuples d’Orient nous ont très longtemps lestement damé le pion sur bien des domaines de haute volée ! En lisant Si je t’oublie, Bagdad, j’ai vu l’héritage transmis pas ces millénaires d’une culture florissante (qui est sans doute passée par des hauts et des bas mais j’avoue mes connaissances défaillantes en la matière). J’ai vu les poètes, retrouvé les peuples, entendu quelques brins de langue, et senti la fierté dans le corps des Irakiens, leurs attitudes, leur culture, une culture mutilée par des bombardements terribles et la destruction partielle d’un patrimoine exceptionnel. J’ai pu retrouver un peu de tout cela, de toute l’idée probablement romantique (et tellement occidentale) que j’ai tendance à me faire du passé (rien n’est jamais si rose), à travers l’expression qu’en propose Inaam Kachachi. Zeina porte cet héritage, qui ne pourra plus s’exprimer sur la terre de ses ancêtres mais qui avec elle continue de vivre, ainsi que dans le sang et la chair d’un peuple déchiré par la guerre, mais qui ne lâche pas le fil qui le relie à ses antiques racines, et auquel je trouve que le style vif, incisif de l’auteure rend justice. Une drôle de lecture, donc, qui m’a secouée à la fois sur la question de la guerre et de l’identité, de comment une femme s’arrange d’avoir le cul entre deux chaises (les Irakiens utilisent l’expression « être comme un chien à deux niches ») et à la fois sur la question d’un héritage multimillénaire, et de l’effet de vertige que ce constat d’une lignée d’une telle ampleur et d’une telle splendeur a pu générer en moi. D’ailleurs, les mots me manquent pour exprimer cette dernière sensation. Le mieux est encore de se rappelerv avant de lire ce roman, que la Mésopotamie a tout de même vu l’invention de l’écriture. Je quitte maintenant les pays du Moyen Orient et je repars vers une Asie plus lointaine dès le prochain livre pour continuer mon voyage !