Neverwhere : Neil Gaiman

Neverwhere : Semaine Citatine

neverwhere

 

Neil Gaiman Première publication originale : 1996 ; Première publication en France : 1998

Voilà plus d’un an que les copines me bassinent avec Neil Gaiman. J’avais fait une première découverte avec le livre à quatre mains qu’il avait écrit en duo avec Pratchett, De Bons Présages. Puis j’ai entrouvert la porte de son univers en lisant Odd et les Géants de Glace, dernièrement. Je plonge maintenant franchement dans son esprit retors, en lisant un roman aussi pour adultes, et qui est en plein dans ma thématique ville, j’ai nommé ***roulements de tambours*** NEVERWHERE ! J’en vois déjà qui applaudissent, d’autres qui s’évanouissent, je vous demanderai juste de garder votre calme. Neverwhere, c’est l’histoire de Richard, alias Dick. Il est fiancé à une executive woman, Jessica, qui le traine dans tous les musées de Londres le dimanche (il a eu le malheur de la rencontrer un peu par hasard dans l’un d’eux) et il a un métier stable mais qui n’a pas l’air franchement palpitant dans un cabinet financier (toujours à Londres) où il fait la collec’ de trolls (encore une fois, un peu par hasard). Vous aurez compris que la vie de Dick, c’est une vie où il fait les trucs un peu par hasard. Il est gentil, dans le fond, mais niveau affirmation de soi, ce n’est pas tout à fait ça… D’ailleurs, je ne suis pas sure qu’il soit vraiment quelqu’un… Bref, un soir, dans un mouvement héroïque incontrôlable, il sauve une jeune femme qui s’appelle Porte. Elle sera son Lapin Blanc. Par elle, et pour elle, il rejoint le Londres d’En-Bas, ou vivent les clodos, les rats, et toutes sortes de créatures étranges. Un endroit où vont « ceux qui tombent dans les failles ». Richard est tombé. Maintenant, il s’agit de survivre. L’idée est vraiment extraordinaire. La différenciation Londres d’En Haut et d’En Bas rappelle vaguement des films tels que Métropolis, où la société bienpensante agit au grand jour tandis que ceux qui gênent, ceux qui font tâche, sont oubliés, mis au rebut… on fait semblant de ne pas les voir. L’idée de Gaiman, c’est qu’on ne les voie véritablement pas. Une première interprétation de la ville, qui rend géographique la notion de « bas-fonds » et de « vivre dans l’ombre ». Mais il ne faut pas croire que la ville du bas soit un lieu confortable où tous les rebuts seront accueillis à bras ouverts. Non, non. Les bas-fonds ont eux aussi leurs bas-fonds (« si tu touches le fonds, gratte encore »), et ceux qui tombent dans les failles depuis les failles, et bien… je vous laisse découvrir. On notera le réinvestissement magnifique de toutes les stations de métro, impensable à Toulouse (où je vis) où ces dernières ont toutes des noms de gens. Morts la plupart… remarquez, ça se tente. Voilà pour l’aspect géographique et social, mais bien entendu, Neil Gaiman n’aurait pu s’arrêter là ! Dans cette ville sont réunis, accrochez-vous, TOUS LES MYTHES DU MOOOONNNNDE !!! C’est à ce moment précis que je perds toute dignité et que je deviens complètement hystérique. Rendez-vous compte ? La Bête de Londres, des labyrinthes dédaléens, une lance de Lugh, des croquemitaines, trolls, géants, anges et démons, rois morts et grands anciens, ils y sont tous ! Tous ceux qui peuplent vos rêves (et vos cauchemars). Chamaniquement, on est carrément dans la conceptualisation du Monde d’En Bas (comme dans Alice au Pays des Merveilles) et Richard (pas cœur de lion, en tous cas, pas au démarrage) va y vivre une véritable quête initiatique, une histoire dont il est le héros, qui va le mener en premier lieu à son propre Graal, la quête de lui-même. D’épreuves en rencontres, de révélation en révélation, c’est son identité propre qu’il va apprendre à exprimer, son existence qu’il va apprendre à imposer. En cela, il sera accompagné par différents personnages qui mènent leur propre quête, dans laquelle il semble tout d’abord complètement dénoter, et où il parviendra à se faire une place. Ce qui est fascinant, c’est la maestria avec laquelle Gaiman a réussi à imbriquer tous ces éléments de façon très cohérente. Dans sa Londres du Dessous (rassurez-vous, il existe aussi une New York du Dessous, une Paris du Dessous, et probablement un dessous dans chaque ville du monde, peut-être même, si ma logique est bonne, que le Dessous est simplement le Dessous du Monde tout entier), dans la Londres du Dessous, disais-je, le point focal, c’est que vit tout ce qui est dans les failles : ce qui tombe dans l’oubli, ce qui tombe en désuétude, ce qui est perdu, ce qui ne doit pas être retrouvé… de la fugueuse dont tout le monde se fiche au mythe auquel plus personne ne croit, en passant par l’homme sans personnalité qui n’a pas de consistance, tout le monde de retrouve et ensemble, survit. Ce fameux Neverwhere (littéralement « n’importe où ») qui rappelle sévèrement Neverland (le célèbre « Pays Imaginaire ») est la ville du temps hors du temps et de l’espace hors de l’espace. La ville de tous les possibles. La ville presque sans consistance où pourtant tout est plus profond, vivant, réel. Je terminerais par un petit mot sur le style Gaiman, avec sa pointe d’humour so British dont il a le secret, embusqué dans une scène sérieuse qui me fait éclater de rire malgré le dramatique de la situation. Je déplorerais juste le côté looser de Dick au démarrage (mais bon c’est un peu le but) et l’aspect peste première de la classe de Jessica, que j’ai trouvés un peu clichés sur les bords.

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