Meurtre dans un jardin indien
Vikas Swarup
Titre original : Six suspects Vikas Swarup Traduit (je crois de l’Anglais, honte sur moi je n’ai pas noté) par Roxane Azimi
Me voilà enfin repartie dans mon tour du monde… J’ai eu comme un raté à hauteur du Pakistan. Ma jeep est tombée en panne, et dans un pays ravagé par la guerre, vous savez que ce n’est pas une sinécure. Alors j’ai filé ventre à terre jusqu’en Inde. Il doit bien y avoir plein d’auteurs fascinants au Pakistan, mais il me fallait avancer. J’ai choisi d’aborder le deuxième pays le plus peuplé au monde (juste après la Chine) avec un roman qui m’avait attiré l’œil quand je travaillais encore dans un magasin de loisirs culturels pour son titre si Agatha Christien. Si la traduction du titre n’a rien à voir avec la version original, on entre dans tous les cas dans un roman policier, une enquête qui n’est pas sans rappeler les plus grandes œuvres de la Reine du Crime, ou tout simplement, le fameux jeu de société Cluedo (auquel, je le sais, vous avez tous joué quand vous étiez enfants. Moi aussi d’ailleurs). Le scénario est simple : il y a une grande fête chez un richissime fils de politicien, connu sous le nom de Vicky. A minuit cinq, il y a une coupure de courant, suivie d’une détonation. Quand la lumière se rallume, le Vicky susnommé est mort. Dans la villa, grouillante de centaines d’invités, six ont une arme à feu. La question sera de savoir qui a fait le coup, bien entendu. Mais au lieu d’une enquête ordinaire, l’auteur nous livre tout simplement les histoires de chacun de ces six personnages, qui sont d’abord présentés, puis leurs mobiles et enfin leurs opportunités. Car Vicky était vraiment un sale type, et tous avaient une raison de venir armés à sa fête. De l’intouchable des bidonvilles jusqu’au politicien véreux en passant par l’aborigène et la bimbo de Bolywood, sans compter les deux derniers, le bureaucrate sans scrupule et le touriste américain, tous avaient une raison de lui en vouloir. Et ce n’est pas la police que l’auteur nous fait suivre, mais chacune de ces six destinées, si différentes les unes des autres qui vont converger jusqu’au point central de l’affaire, cette fameuse soirée de fête. L’auteur propose une structure qui m’a déroutée, mais qui n’aurait pu mieux rendre ce principe de convergence. Le roman est divisé en plusieurs parties : l’annonce du meurtre par article de journaux, puis les personnages (un chapitre consacré pour chacun d’eux), puis leur mobiles (même principe : un chapitre pour chacun d’eux) et ainsi de suite jusqu’à résolution. Cette dernière est présentée, une fois de plus, par biais d’articles de journaux. Autant de points de vues internes (ô combien subjectifs) pour lesquels l’auteur développe un style personnalisé ce que je trouve à la fois malin et très agréable, qui permettent au lecteur de prendre la pleine mesure des ambitions et motivations de chacun. Et bien entendu, tout en l’empêchant d’avoir une vue « du dessus », omnisciente, qui l’aurait autorisé à découvrir le coupable de lui-même. Car il faut attendre le tout dernier chapitre et les aveux du tueur lui-même pour comprendre, enfin, de quoi il retourne. L’auteur est un diplomate indien de haute volée. Il se défend d’exprimer un point de vue politique ou celui d’un parti. Le roman reste, selon moi, une superbe chronique sur la société indienne telle qu’elle se présente à l’heure actuelle. Chacun de ces personnages est issus d’un milieu qui lui est propre. D’une caste à l’autre, dans une société où ce système est aussi ancré que millénaire, le lecteur est mis face aux injustices, aux aberrations, et bien sûr, aux dérives qu’elles entraînent : corruption, assassinats, malhonnêteté, détournement ou omission d’information… Le regard de l’Américain est en cela particulièrement intéressant pour nous autres occidentaux, car aussi stupide soit-il, il reste le représentant de l’occidental parachuté dans un univers qu’il ne comprend pas et qu’il va expérimenter à ses dépens. Dire que je me suis retrouvée dans ce personnage serait un peu fort, mais j’ai néanmoins perçu le gouffre qui le sépare de ceux à la rencontre desquels il va. J’ai ressenti ce même genre de phénomène avec l’aborigène. Vous comprendrez alors pourquoi j’ai trouvé que la construction évoquée ci-dessus est particulièrement pertinente, et n’aurait pu mieux servir le roman : en passant par les regards de chacun, ce sont tous ces milieux qui sont mis à la portée du lecteur. Le tout est enfin amené avec un style qui n’est pas dénué d’humour et d’ironie et cela commence par le prénom de cette victime que personne ne pleure, si proche de celui de l’auteur…). Se cache même une once de fantastique. L’auteur persiste à présenter un divertissement, pas un pamphlet ! Mais quoi de mieux qu’un roman qui sera lu par la masse peut permettre la prise de conscience ? On en revient à ce que j’évoquais lors de mon passage en Chine, avec Mort d’une Héroïne Rouge : le roman policier, qu’il soit noir ou pas, trouve son intérêt de fond dans ce qu’il permet une peinture sans fard de la société qu’il décrit. Loin du strass et des paillettes, loin des robes qui volent et des rivières de diamant, derrière les masques de porcelaines qui s’effritent et qui tombent sous les coups de plume de l’écrivain, c’est la nature sombre de l’Homme qui est révélé. Ses aspects les plus vils, qui sont aussi la réalité. L’humour de l’auteur permet de ne pas tomber dans le roman noir et déprimant, d’ailleurs, et le même message est transmis, le moral à zéro en moins. C’est un livre qui m’a agréablement surprise, malgré ma propre difficulté à entrer dans tant d’histoires différentes. C’est purement une histoire de goût car je le répète, la forme sert merveilleusement bien le récit. Je le conseillerais volontiers à qui a envie de découvrir la vision d’un Indien sur son propre pays, sur son fonctionnement. Un pays qu’il aime pourtant de tout son cœur. Ainsi, je me fend de cette petite citation, tellement représentative : « Nous habitons un pays étrange et sublime. On y rencontre les humains les meilleurs comme les pires. On peut aussi bien y avoir affaire à une générosité sans pareille qu’à une cruauté qui dépasse l’entendement. »