Attentes de lectures : L’horizon est dans les yeux, et non dans la réalité

Publié le : 19 décembre 201810 mins de lecture

Vous avez constaté, si vous suivez ce blog depuis un petit moment, qu’il est très rare que je propose une chronique négative sur un livre. Je me suis posé la question de savoir pourquoi. C’est quand même quelque chose de n’être quasiment jamais déçue !

Suite à la lecture de Du Sang sur la plume et de Meurtre dans un jardin indien, j’ai mis le doigt sur un élément de réponse. Les deux sont des policiers, l’un m’a plu et l’autre non (pour des raisons diverses, je vous encourage à re-lire les chroniques si le détail vous intéresse). Pourquoi ? Je me suis rendu compte que c’était tout simplement dû à ce que je m’attends à trouver dans un policier. A ce que j’ai envie d’y trouver également. Que si j’arrive si souvent à trouver de l’intérêt à un roman alors que c’était parfois vraiment mal parti, c’est parce que j’arrive la plupart du temps à m’adapter à ce que je lis, et à modifier mes présupposition en conséquence. Ces présuppositions, ces envies, dans le jargon on appelle ça l’horizon d’attente du lecteur (et après, on me dira que lire n’est pas voyager ?…).

Définition

Je viens de vous expliquer un peu avec mes mots de profane en quoi ça consiste. Histoire de me la péter un peu et de faire snob et pro à la fois, je vous mets ci-dessous la définition de Jauss, le type qui a plus ou moins inventé le concept !

L’horizon d’attente, c’est «le système de références objectivement formulable qui pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux: l’expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique dont elle présuppose la connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne»

Voilà qui est bien compliqué comme phrase ! En gros, il explique que quand on ouvre un livre, il y a trois piliers qui déterminent ce qu’on en attend : d’abord, les lectures précédentes dans le même genre (exemple : j’ai vu dans Mort d’une héroïne rouge une expression de la société chinoise en arrière-boutique. C’est devenu une de mes attentes quand je lis un polar ou un policier) ; ensuite, un livre répond à certains codes de fond et de forme que l’on connait ou pas en tant que lecteur, et qui génère des attentes chez le-dit lecteur (exemple : la bit-litt répond à certains codes. Quand j’ouvre un livre estampillé bit-litt, je m’attends à trouver un certain type d’histoire, dans un certain style et avec une certaine composition… ça marche aussi parfaitement bien avec les romans à l’eau de rose de chez Harlequin, calculés à la ligne près !) ; enfin, l’attente est générée par le fait qu’on entre ou non dans un monde de l’imaginaire : on ne s’attend pas à la même chose quand on ouvre un livre de cuisine et un roman de Science-Fiction.

Voilà pour  la définition de l’horizon d’attente, en espérant n’avoir pas été complètement obscure ! N’hésitez pas à m’en faire part en commentaire, si ce n’est pas clair !

Comment donc est-ce donc généré, dis donc ?

Jauss nous donne quelques indications plus haut, mais j’aimerais en ajouter quelques-unes à l’usage du badaud genre vous et moi.

La couverture et le titre

la couverture d’un roman, l’image qui a été choisie pour l’illustrer, se partage avec le titre la première impression qu’on se fait d’un livre. Le mieux est de faire un test : regardez bien les deux couvertures ci-dessous :

Est-ce que vous vous attendez à rencontrer le même genre de bouquin ? Non ? Voilà !

Notez qu’en ce qui me concerne, la maison d’édition joue aussi beaucoup. Je ne m’attends pas au même genre de bouquin chez Bragelonne et Harlequin… (comme quoi les spécialisations ça sert).

A l’attention des maisons d’éditions inconnues au bataillon, ou petites, ou sur le démarrage : le logo que vous utilisez génère lui aussi une attente de lecture. J’en discutais avec Cecilia Correia sur un salon la dernière fois. Elle m’expliquait que Rebelles éditions ne faisait pas spécifiquement dans la romance, même s’il y en a. Perso, le logo m’orientait sur du 100% romance… comme quoi…

La quatrième de couverture

le résumé d’un roman, évidement, va générer une attente. C’est son rôle premier, même : vous donner envie de lire la suite ! Une mini biographie de l’auteur et sa photo peuvent aussi jouer leur rôle, en positif comme en négatif. C’est idiot, mais le gens moyen (vous, moi, eux) se cantonne souvent à l’apparence de celui qui écrit…

Les chroniques et critiques

Et oui, je parle de nous autres blogueurs, mais aussi de tous les gens qui donnent leur avis sur les livres dans les magazines, à la TV, etc… On donne notre avis, ce qu’on en a pensé : forcément, ça influence ceux qui nous lisent ! Et ça génère chez eux l’envie de lire ou pas, en fonction de ce qu’ils s’attendent désormais à y trouver !

Les attentes de lecture sont partout !

Oui, partout ! Quand on ouvre un roman, on s’attend au respect de tel ou tel code. Quand on ouvre un livre de recettes, on s’attend à trouver des recettes (peut-être même des photos). Quand on lit une notice d’utilisation, on s’attend à comprendre le fonctionnement de la machine à laver. Les horizons de lecture concernent jusqu’à l’info sur la composition de votre chocolat en poudre préféré.

Adaptabilité, flexibilité

Avoir conscience de ce phénomène d’attentes de lecture (même si je ne relis pas la définition avant de lire la moindre notice de montage de meubles suédois) est pour moi très important car il me permet souvent de comprendre pourquoi j’aime ou non un roman. Je peux me dire « en effet, je me trompe d’attentes de lecture… l’auteur n’envisageait probablement pas de répondre à tel ou tel code… alors, qu’est-ce qu’il a voulu faire ? » Et du coup, je modifie mon attente en cours de route. Ou si j’ai aimé, ça me permet de me dire, « oui, c’est parce que telle et telle attente ont été satisfaites ». En somme, ça permet de trouver du positif partout, même quand je n’ai vraiment définitivement pas aimé. Dans ce dernier cas : « ok, je n’ai pas ces attentes, mais d’autres oui, sans doute : je ne suis pas le public visé » (je vous renvoie à ma chronique sur Le Premier Eté, qui entre totalement dans ce cas de figure). En somme, ça évite de partir sur du « c’est de la merde », et ça permet de rester sur du « ça ne m’a pas plu/convaincu… »

Les attentes de lecture, un phénomène dont il faut avoir conscience

Oui. Je l’affirme haut et fort. En tant que lectrice, je trouve qu’il est important d’avoir conscience de la façon dont ce principe fonctionne chez moi. Surtout que je me permets de donner mon avis sur ce que j’ai lu !

D’ailleurs, c’est un outil très intéressant pour construire sa chronique. Quelles étaient mes attentes, et ensuite, comment ont-elles ou non été satisfaites ? (et dans quelle mesure la potentielle surprise m’a amusée, donné du plaisir de lecture ? C’est qu’il faut savoir aussi que certains petits malins s’amusent à générer des attentes de lecture pour mieux les transgresser ensuite… un jeu à double tranchant, mais qui peut faire tout le sel d’une œuvre !). Quelques questions toutes simples que l’on peut se poser et auxquelles on peut répondre au cœur de la chronique ! C’est quand même génial non, comme levier ?

J’aimerais enfin spécifier que ce principe peut s’appliquer aussi au cinéma, à la TV, aux expos et à toute forme d’expression artistique. Je suis fan !

NB : Citation de titre : Angel Ganivert

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